1989
Un film du Théâtre du Soleil mis en scène par Ariane Mnouchkine.
Scénario d'Ariane Mnouchkine et Hélène Cixous, dialogues d'Hélène Cixous, musique de Jean-Jacques Lemêtre, images de Bernard Zitzermann, décors de Guy-Claude François, poupées d'Erhard Stiefel, costumes de Nathalie Thomas et Marie-Hélène Bouvet.
À l'initiative de l'Assemblée nationale pour le Bicentenaire de la Déclaration des droits de l'Homme.
© Archives Guy-Claude François/Théâtre du Soleil
La Nuit miraculeuse, c'est l'histoire d'une orageuse nuit de Noël à l'Assemblée nationale. Nicolas et Edmond, tous deux sculpteurs, et leur équipe, démontent une exposition de centaines de poupées grandeur nature célébrant la mémoire des mille deux cents députés de l'Assemblée Constituante, réunie il y a deux siècles. Par la grâce d'un enfant, les poupées-députés se réveillent et jettent une nouvelle fois leurs forces dans le formidable débat qui a donné au monde la Déclaration des Droits de l'Homme. D'autres vont venir : tous ceux pour qui les Droits de l'Homme sont une promesse et ceux qui se sont battus pour qu'il demeure lettre vivante. Dans l'hémicycle de l'Assemblée, on assiste au spectacle inouï de cette multitude de races et de peuples, de gloires et d'humiliés, de triomphes et de défaites, de forts et de faibles.
Heure fantastique et multiple. Nous solmmes au même moment en 1789 et en 1989.
... c’était le moment du tournant, juste à la fin et juste avant, mille deux cents hommes se réunirent pour regarder sombrer un vieux soleil et s’allumer le ciel d’un nouveau monde. Certains regrettaient l’ancien astre, d’autres guettaient le jour inconnu. Mais tous restèrent assemblés pour écrire à l’Univers une lettre universelle et, o miracle, l’Univers le reçut et ne l’oublia jamais. Même dans les innombrables contrées où elle fut refusée, arrachée, censurée et, comme lettre morte, elle fut gravée secrètement dans les mémoires et dans les espérances.
Ici, en France, berceau des Droits de l’Homme comme on dit croyant avoir tout dit et en avoir fini de cette mémoire encombrante, on nous rappelle en cette année 1989 que nous sommes les lointains descendants de cette scène mythologique (qu’on s’efforce d’ailleurs de démystifier autant que faire se peut).
Or, ce qu’on devrait nous dire c’est que, que nous le voulions ou non, bien plus que les descendants, nous en sommes ici et aujourd’hui les acteurs. Que nous soyons les sans-droits, les ayants-droits, les fins de droits, les petits, les puissants, les législateurs, nous en sommes, et pour toujours, les protagonistes.
L’Histoire moderne du monde a commencé une nuit à l’Assemblée nationale en France et le seul choix qui nous reste est celui de choisir notre camp.
Comme pendant la nuit miraculeuse que conte notre film, sommes-nous pour, sommes-nous contre ? Ou sommes-nous seulement de la cynique cohorte des marchands de pacotilles révolutionnaires. Ces alchimistes à l’envers qui ne savent que changer l’or de la pensée en plomb du profit.
Cette nuit-là, ces trois mois-là, mille hommes ont rêvé un monde juste. Tout en se déchirant ils ont reconnu ensemble que l’Homme inclinait vers le Bien.
En cet été 1789, la nation française découvrait la parole publique. Tout était pur encore. C’était juste à la fin et juste avant. Moment magique et qui cependant exista.
Cette nuit-là, un nouveau Verbe naquit et des caravanes innombrables de rois mages et de pauvres mages n’ont pas cessé depuis de répandre la nouvelle et de la répéter surtout, surtout de la répéter car ils savent bien ces colporteurs, ces combattants, que l’Oubli est le plus récidiviste des assassins.
Voilà ce que notre film, notre conte de Noël 1989 ambitionne d’être : une petite caravane orageuse et comique qui s’en ira frapper rageusement à toutes les maisons du monde en répétant : Mesdames et Messieurs, la Déclaration des Droits de l’Homme n’est pas finie mais…
Merci d’y participer.
Ariane Mnouchkine
Paris, mai 1989